J'ai eu de la chance tu sais, c'est un peu là bas que j'ai grandi, un peu là bas, un peu ici. J'en ai visité des endroits, j'en ai vu des pays, j'ai foulé des sols rouges, verts, sables et terreux, mais c'est ici que ce sont accrochés mes songes, ici que chaque semaine je reviens la nuit, depuis dix ans, et même avant cela.
J'ai comme ça caché en moi, les plus jolis des souvenirs, mais aussi là où tout se déchire. J'ai tatoué sur mon bras, accroché au fond de ma mémoire, épinglé dans mes carnets, tout relu, tout noté.
Il est de ces endroits magiques d'où tout découle, et j'aime à penser que c'est là que j'ai appris à nager, à rire et à sourire, là que j'ai connu le bonheur parfait, malgré quelques ombres et quelques larmes, quelques frayeurs aussi.
Tout a commencé lorsque j'avais à peine un an, et tout s'est étiré pendant plus de dix ans. Merci papa, merci maman. Merci de m'avoir fait découvrir les plus beaux endroits de la terre, et celui-ci, pas trop caché, mais un peu enfoui. Merci d'avoir bercé mon enfance de rose et d'or, d'avoir forgé en moi un rêve si grand, un rêve qui me porte depuis tant de temps. Merci de m'avoir donné la chance, offert même, le plaisir de visiter le Paradis. Depuis 10 ans il n'est pas un mois sans que j'en rêve 4 ou 5 fois, il n'est pas une journée sans que j'y repense, que je replonge dans ces souvenirs, dans ce monde fantasmé, parfait. Depuis 10 ans je rêve chaque matin en me levant de reposer les pieds sur le sol de dalles grises, sur le sable blanc, dans l'herbe verte, et m'enchanter comme avant.
Merci d'avoir nourri, sans jamais le tarir, mon rêve un peu fou, de l'avoir laissé grandir, prendre place, merci d'avoir laissé forcir la braise, d'avoir soufflé parfois sur le feu pour entretenir la flamme, merci de m'avoir poussée à décoller, de m'avoir laissée partir, de m'avoir entraînée, rassurée, portée. Merci, papa, maman, car maintenant je suis là, et que désormais, je peux laisser dormir ce rêve réalisé, cesser de le poursuivre sans répit, et me fatiguer à le voir s'étioler. Car il se case maintenant dans la colonne "réalisés".
Le temps court d'un week-end j'ai retrouvé les saveurs de ce qui m'a bercé, j'ai à nouveau vécu dans ce monde un peu déconnecté, où tout est beau, où le monde est chic, l'eau transparente, et les odeurs enivrantes. Je suis entrée par la grande porte, qui parait plus petite maintenant que j'ai grandi, j'ai déposé mes bagages dans une suite que je connais par cœur, où tout m'est familier, j'ai ouvert en grand les portes, j'ai laissé entrer le jardin, j'ai regardé mon Morne, comme il m'avait manqué. Je suis allée à la rencontre de mon paradis, lentement, comme une enfant qui jouerait à cache-cache, en marchant sans faire de bruit, en observant partout autour l'espace abandonné. L'esprit embrumé et les yeux embués j'ai marché jusqu'au bout, pour voir l'île aux Bénitiers, j'ai plongé mes mains dans le sable, piqué mes pieds sur le sol jonché de graines de filaos, j'ai longé les villas, longé les murs, j'ai observé le monde s'agiter dans ma langueur.
C'était comme naître et renaître encore, articuler mes jolis songes dans ce décor.
C'est une sensation étrange d'être comme une étrangère dans un lieu que l'on connait par cœur.
Essayer de ne pas pleurer surtout, ne pas regretter un instant d'avoir profité jusqu'au bout, d'avoir goûté à tout. Comme pour la dernière fois, me laisser le temps de dire au revoir, pour de bon certainement, car c'est épuisant de nourrir un tel rêve, épuisant d'y penser sans cesse, d'avoir l'esprit là bas et le corps ici, pendant 10 ans. Et puis parfois, il ne faut pas réveiller les souvenirs.
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